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Dans quelle direction va la traumatologie préhospitalière |
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Dans le cadre du Colloque intercollégial des soins préhospitalier d’urgence du 25 janvier 2020 à Shawinigan, j’ai eu le privilège de présenter sur le futur de la traumatologie préhospitalière à travers le monde. |
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Dans quelle direction va la traumatologie préhospitalière :
mon top 15 des articles récents
Dans le cadre du Colloque intercollégial en Soins préhospitalier d’urgence du 25 janvier 2020 à Shawinigan, j’ai eu le privilège de présenter sur le futur de la traumatologie préhospitalière à travers le monde. La conférence, sous forme de vulgarisation de 15 articles scientifiques récents, devait donner le goût aux intervenants de s’intéresser à la littérature scientifique, mais aussi de comprendre les bons coups à venir.
En premier lieu, qui suis-je pour parler de ce sujet? Je suis thérapeute du sport agréé depuis 2013 et étudiant à la maîtrise à l’Université Laval: Identification préhospitalière des lésions intrathoraciques et intra-abdominales chez les patients traumatisés. Je suis également évaluateur pour le programme Prehospital Evidence-Based Practice, coordonnateur du programme International Trauma Life Support et Stop the Bleed au Québec. Sur le terrain je suis encore actif comme thérapeute du sport, en plus d’être premier répondant à la ville de Côte-St-Luc et j’enseigne activement des formations de premiers répondants et Sports First Responder.
Avant de commencer à lire et analyser des études, il faut éviter certains pièges :
- Les services préhospitaliers et systèmes médico-légaux sont très différents à travers le monde, on ne peut pas toujours comparer avec d’autres pays ;
- Il faut éviter de s’emballer devant un nouvel outil qui semble si performant. La plupart des hot products finissent par n’avoir aucune preuve scientifique ;
- En trauma, une grande majorité des données proviennent du contexte militaire. La population militaire est loin de représenter notre population générale ;
- Une erreur courante : faire des extrapolations sur des données ou résultats qui ne sont pas publiés. Par exemple assumer qu’un traitement pédiatrique est aussi efficace chez un adulte ;
- Bien lire tous les détails! Tout le monde qui s’intéresse à la littérature scientifique devrait lire les deux études suivantes :
- Parachute use to prevent death and major trauma when jumping from aircraft: randomized controlled trial (BMJ 2018)1
- Parachute use to prevent death and major trauma related to gravitational challenge: systematic review of randomised controlled trials (BMJ 2003)2
Les problèmes à corriger en traumatologie préhospitalière au cours de la prochaine décennie selon le gouvernement américain sont :
- La bonne destination pour un patient sévèrement traumatisé (hôpital le plus proche versus centre de trauma tertiaire)
- L’utilisation de transport héliporté plus adéquate
- Reconnaissance de l’importance des premiers intervenants et premiers répondants sur le taux de mortalité des patients et adapter la formation. Le programme Stop the Bleed en est le meilleur exemple.
- S’assurer que les protocoles sont basés sur les meilleures données probantes et non pas seulement sur des opinions d’experts
- Meilleure utilisation des technologies comme les téléphones cellulaires, la télémédecine, l’échographie portable, etc.
- Assurer une meilleure sécurité physique et psychologique aux intervenants. Ceci passe entre autres par les véhicules ambulanciers, le port de vestes pare-balles, les programmes de pairs-aidants, etc.
- Encadrement des transports urgents avec des véhicules privés et véhicules policiers plutôt qu’avec le transport traditionnel ambulancier dans des situations particulières.
Voici maintenant les 15 études que j’ai choisies qui donnent une bonne idée des changements à venir en traumatologie préhospitalière :
L’utilisation du lactate comme identificateur précoce des chocs chez les patients non-hypotendus est une avenue très intéressante. Avant que le patient décompense, une simple prise de lactate (pas plus compliqué qu’une glycémie) pourrait nous indiquer si le patient va se détériorer ou non. Cet outil a déjà été validé chez les patients hypotendus et malheureusement n’est pas concluant pour l’instant chez les patients non-hypotendus. L’indice de choc (pouls/T.A. systolique) est plus simple et plus précis (spécificité 89.9% vs 66.9% pour le lactate)3.
Dans les pires cas de trauma aux membres inférieurs, l’hémorragie est difficile voir impossible à contrôler. Un nouvel outil très prometteur est sur le marché, le garrot de l’aorte abdominale et jonctionnelle! Ce garrot comprime l’abdomen jusqu’à occlure complètement l’aorte permettant au patient de se rendre en centre hospitalier et en chirurgie pour contrôler son hémorragie. Il a été prouvé sécuritaire jusqu’à 4 heures!4
Démonisé pendant des années, le garrot «traditionnel» a été prouvé plus qu’efficace. Selon cette étude de la Louisiane, il réduirait les transfusions sanguines ainsi que le nombre de jours d’hospitalisation. Encore plus important, il y avait moins de complications chez le groupe avec garrot que le groupe sans garrot. Et dire qu’on hésite encore à l’appliquer5.
REBOA, voilà un beau jouet qui fait rêver. Cette technique minimalement invasive consiste à gonfler un ballonnet dans l’aorte afin de contrôler une hémorragie du bassin ou des membres inférieures. Les données nous provenant de cette étude britannique semblent démontrer un résultat favorable à son utilisation. Cependant, elle ne représente que 21 patients, soit 0.003% des patients graves de Londres6.
Cette étude est sûrement celle qui a fait le plus jaser dans le monde préhospitalier en 2018. La mortalité de 103 029 patients était inférieure chez ceux qui avaient été transportés par un véhicule privé plutôt que par ambulance! Donc, dévoue-nous toujours nous rendre seul à l’hôpital? Non! Le détail important est que l’étude n’a considéré que les patients ayant subi une blessure pénétrante. Et dans ce cas, il s’agit d’une urgence chirurgicale, donc le patient doit se rendre le plus rapidement possible à l’hôpital, peu importe le moyen! 7
Une des urgences vitales en traumatologie est le pneumothorax sous tension. La technique utilisée pour l’instant est la décompression à l’aiguille, cependant plusieurs s’entendent pour dire que le cathéter est trop petit pour favoriser une bonne décompression. Un groupe au Texas a tenté d'utiliser la thoracostomie (c’est-à-dire faire une incision entre deux côtes pour libérer l’air pris), mais statistiquement, cette technique n’a pas eu d’impact positif. Cliniquement, toutefois, plus de patients ont survécu dans le groupe expérimental. Également, la thoracostomie est jugée plus sécuritaire pour le patient en comparaison avec la décompression à l’aiguille8.
Une étude provenant d’un thérapeute du sport américain! Il s’agissait de comparer si le patient immobiliser traditionnellement (planche, ganses, blocs, collier cervical) réduisait ses mouvements pendant le transport comparé aux patients déposés sur une civière avec seulement un collier cervical. Sans grande surprise, aucune différence entre les deux groupes! Donc, pourquoi perdre du temps à mettre le patient sur une planche ou un matelas coquille? L’utilisation du « scoop » serait donc la meilleure option9.
Encore avec les blessures à la colonne, cette fois chez la population gériatrique. Ils ont comparé un nouveau protocole de prise de décision d’immobilisation, mais chez les patients de plus de 60 ans, ce qui est plutôt rare et innovateur. Après l’implantation du nouveau protocole, moins de patients ont été immobilisés (59.4% vs 28.1%) tout en gardant la proportion de patients avec des déficits neurologiques faibles (6.5% vs 5.3%). Donc il est sécuritaire d’établir un protocole de triage chez les patients gériatriques contrairement à ce que mentionne la règle canadienne et en plus ça ramène la question de pourquoi immobilisons-nous les patients?10
La technologie Star Trek arrive bientôt! L’utilisation de l’échographie portable en préhospitalier est très tendance! Mais surtout précise. Utilisée en trauma, comme dans les cas médicaux complexes (intubation, RCR…), elle améliore l’évaluation et la précision de la décision de transport. Le défaut? Difficile de maintenir les compétences à jour, pas un assez grand volume en préhospitalier, donc des tours à l’hôpital pour pratiquer sont obligatoires11.
Encore avec l’échographie, cette fois dans des situations de triage comme l’attaque au camion bélier de Berlin. Améliore grandement le triage, réduit le nombre de scan, donc le temps d’attente avant de monter au bloc opératoire. Par contre, la technologie disponible pour l’instant ne permet pas d’être utilisée pendant de longues périodes de temps12.
Chez les patients ayant perdu beaucoup de sang en préhospitalier, il est difficile de donner des produits sanguins. De plus, nous savons que l’administration traditionnelle de solution de NaCl augmente le taux de mortalité (par acidose, hypothermie et coagulopathie). Les armées française et israélienne ont apporté une nouvelle option, le plasma lyophilisé. Il s’agit de plasma sanguin humain qui a été réduit en poudre. Il ne suffit que de le mélanger avec de l’eau stérile et bien agiter pendant 2 minutes pour le reconstituer. Il peut être administré rapidement dans un contexte préhospitalier et semble très prometteur13.
Toujours chez les patients avec des hémorragies importantes, l’utilisation de l’acide tranéxamique, un médicament antifibrinolytique utilisé depuis très longtemps à l’hôpital, qui depuis 2013 est prouvé comme efficace dans les 3 premières heures. Une utilisation chez les paramédicaux californiens nous démontre une diminution de la mortalité, de l’utilisation de produits sanguins et de la durée de l’hospitalisation chez le groupe expérimental. Tout ça sans complication supplémentaire!14
Est-ce que les équipes de soins avancés en hélicoptère, tel qu’on le voit beaucoup en Europe, améliorent la survie des patients en arrêt cardiaque traumatique? Selon les auteurs de cette étude, oui, mais les résultats sont très faibles. En fait, il y a peu d’études qui démontrent une valeur ajoutée aux services héliportés en préhospitalier, surtout en considérant les coûts immenses qu’ils engendrent. Ça paraît bien à la télévision, mais il faut mieux encadrer ce genre de services15.
Avec l’augmentation de la violence et des tireurs actifs partout dans le monde, les services d’urgence doivent trouver des tactiques pour accéder plus rapidement et sécuritairement aux patients. La méthode la plus populaire, rescue task force, consiste à envoyer des équipes de 3-4 policiers avec 2 paramédicaux dans une zone considérée comme « tiède ». C’est-à-dire que la menace n’est plus active à cet endroit précis. Une fois sur place, les policiers assurent la sécurité alors que les paramédicaux effectuent un triage initial avant d’évacuer vers une zone tampon où d’autres équipes transféreront les patients à une zone de traitement. Selon l’étude qui nous intéresse, il est possible de former facilement et en peu de temps les intervenants à cette approche, cependant la sécurité via une communication efficace doit rester la priorité. Des services québécois ont déjà commencé la formation de leurs intervenants!16
Suite à la terrible fusillade du bar Pulse à Orlando, un groupe a investigué sur les mécanismes de blessure ayant causé la mort. Les résultats sont frappants : sur 49 décès, ils ont répertorié 336 plaies, soit 6.9 par patient. 46% des plaies se trouvaient aux extrémités cependant 41% des décès étaient causés par une plaie au thorax. Si on considère certaines études présentées précédemment, le triage initial et le transport rapide vers un centre de trauma sont les points les plus importants. L’utilisation du garrot sur les extrémités est également une priorité considérant le pourcentage de blessure aux extrémités et la moyenne par patient. Impossible de traiter 6-7 blessures en même temps17.
Pour terminer, certains points qui sont importants de mentionner :
- La survie des patients traumatisés du Québec est la plus élevée de toutes les provinces canadiennes. Cessons de dénigrer l’excellent travail des intervenants et le système que nous avons. Il peut évidemment être amélioré, mais il fonctionne bien!
- La collaboration entre les professionnels est essentielle, notre travail sur le terrain de thérapeutes du sport permet de sauver des vies et réduire la morbidité des patients. Cependant, nous ne pouvons pas tout faire seuls, un bon transfert à nos collègues paramédicaux et une
- collaboration permet de garder le patient au cœur de nos préoccupations.
Remettez tout en question, lisez des articles scientifiques, encouragez la discussion et le changement!
Plusieurs autres sujets auraient pu être abordés, mais le temps manque ; à suivre dans une autre présentation peut-être! Pour poursuivre la discussion, vous pouvez me suivre sur Instagram ou sur Facebook. Vous pouvez aussi me rejoindre par courriel.
Marc-Antoine Doré, CAT (C)
Collaborateur spécial
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